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Covid-19 Les céréales sens dessus dessous

La meunerie de l'usine Alpina Savoie à Chambéry. © Laurent FABRY

Les huit semaines de confinement auront eu raison de débouchés cruciaux pour le blé tendre, en premier lieu la meunerie et l’éthanolerie, comme pour l’orge brassicole et le maïs. Mais l’export vers pays tiers, à un niveau record, sauve cette campagne commerciale.Par Renaud Fourreaux

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La filière céréalière a eu beau s’organiser pour continuer à assurer l’approvisionnement du marché intérieur, elle subit néanmoins depuis la mi-mars un net ralentissement d’activité de certains débouchés. En premier lieu, la meunerie, un secteur où la surcapacité de production était déjà préoccupante. Certes, les ventes de farine en sachets ont doublé, mais « ce n’est, en temps normal, que 5 % du marché français de la farine », rappelle Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales. Et cette augmentation de la demande des particuliers ne saurait couvrir les pertes élevées sur les autres segments. Car après l’euphorie de la première semaine de confinement, le segment de la boulangerie artisanale, « qui est celui qui rapporte de la valeur à la filière », rappelle-t-il, s’est effondré de 40 à 50 %, en raison de la fermeture des circuits de restauration hors foyer et de l’arrêt de consommation des sandwichs. La chute est encore plus forte (− 70 à − 80 %) en boulangerie et pâtisserie industrielles en raison de la fermeture de nombreux points de vente (Paul…). Si le segment des industries utilisatrices (pains surgelés, fonds de tarte, etc.) était plutôt stable les trois premières semaines, il baisse désormais de 20 à 30 %. « Les pains de mie s’en sortent bien, mais les viennoiseries subissent une forte baisse », confirme le directeur d’Axiane meunerie, David Hubert. Enfin, si une hausse des ventes de biscuits semble être observée en GMS, Christophe Duval, directeur de Filet Bleu, la biscuiterie d’Agromousquetaires (biscuits Chabrior), pressent finalement sur la période mars juin, une activité proche de la normale pour son usine.

L’amidonnerie et l’alimentation du bétail continuent, elles, de tourner à peu près normalement, mais l’effondrement de la demande en carburant ralentit fortement l’activité éthanolière française. Elle devrait consommer 8 % de blé (150 000 t) et 12 % de maïs (55 000 t) en moins sur l’ensemble de la campagne 2019-2020. La déprime sur le marché du maïs est d’ailleurs prégnante : les cours mondiaux sont au plus bas depuis près de quatre ans.

La brasserie aux abois

Avec la fermeture des cafés, hôtels, restaurants et l’annulation ou le report des évènements sportifs et culturels, le secteur de la brasserie s’est vu privé de 35 % de ses débouchés du jour au lendemain, mais les ventes dans les commerces alimentaires (65 %) semblent préservées. Les microbrasseries sont particulièrement impactées, et enregistrent jusqu’à 80 % d’effondrement de leurs ventes. Il y aura de la casse. « Le secteur de la malterie et de la brasserie est complètement en déroute. Et cela va influer d’ailleurs sur le marché de l’orge de brasserie », commente Jean-François Loiseau.

Ruée sur les pâtes

A contrario, l’industrie des pâtes et couscous a connu « globalement un doublement des ventes au mois de mars », relaie Christine Petit, secrétaire générale de ce syndicat. Les raisons ? Un produit facile à cuisiner et pas cher, davantage de familles à la maison, mais aussi davantage de stocks de précaution. Ce pic de consommation a engendré des besoins additionnels en blé dur. D’ailleurs, FranceAgriMer a relevé en un mois de 40 000 t les mises en œuvre de blé dur dans la semoulerie française et, également, de 40 000 t les expéditions vers pays tiers. « On va maintenant vers un tassement progressif, une reconstitution des stocks, mais on reste vigilant vis-à-vis de l’approvisionnement. » FranceAgriMer fait effectivement état d’un stock de fin de campagne plus qu’étriqué (29 000 t).

Le virus de l’export

Si les prévisions d’exports français de blé tendre vers l’Union européenne ont été révisées en avril en forte baisse (− 335 000 t), et pâtissent du ralentissement de la demande dans le nord de la Communauté pour l’alimentation animale (maïs plus compétitif que le blé) et pour les biocarburants, le scénario est complètement différent sur le grand export. La France devrait connaître, avec 13,2 Mt prévues, un record absolu d’exportation de blé vers pays tiers en 2019-2020 (dont 1,63 Mt pour le seul mois de mars). Et cela reste une position conservatrice de FranceAgriMer ! La forte dynamique à l’export, due à une bonne compétitivité française, s’est donc encore accélérée avec la demande accrue des importateurs pendant la pandémie, dans le but de sécuriser des stocks stratégiques. C’est particulièrement le cas de l’Égypte, où la France s’est positionnée à plusieurs reprises, notamment mi-avril quand elle a remporté haut la main un appel d’offres égyptien pour l’expédition de 180 000 t de blé, ne laissant que 60 000 t à la Russie (qui, comme l’Ukraine, a d’ailleurs levé le pied pour protéger son marché domestique). À souligner aussi, l’excellente performance de la France en Chine lors de cette campagne : 1,1 Mt de blé expédié au 10 avril (dont 340 000 t en mars), huit fois plus que l’an dernier à la même date ! Pourquoi un tel engouement ? Le conflit commercial sino-américain n’y est pas étranger, « sans pour autant que l’on puisse trouver une explication économique rationnelle », tempère Marion Duval, de FranceAgriMer. L’Afrique subsaharienne est également très présente (+ 109 % au 1er avril), comme le Maroc (+ 76 %), qui souffre de la sécheresse.

Profitons de cette dynamique, car la prochaine campagne commerciale sera en retrait. Les surfaces de blé tendre actuelles sont à leur plus faible niveau depuis 2003 (l’équivalent de 3 Mt en moins). Et les potentiels de rendement sont d’ores et déjà entamés avec la sécheresse printanière : selon Céré’Obs, les conditions de culture bonnes à très bonnes n’excédaient pas 58 % fin avril contre 79 % l’année dernière.

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